PARTIE 3 – L’HALTEROPHILIE
Nous venons de voir que l’activité rugby nécessite force, vitesse, coordination et souplesse. Ces qualités physiques peuvent être travaillées d’une multitude de façons en salle de musculation ou sur le terrain, le choix de la méthode de travail dépendant fortement du niveau d’expertise de l’athlète et des influences du préparateur physique.
Les entraineurs modernes offrent une part de plus en plus importante à la pratique de l’haltérophilie pour développer ces qualités, les plus crédibles d’entre eux étant capables de réaliser les mouvements olympiques avec des charges décentes, d’apprendre leur exécution technique dans le respect de l’intégrité physique, et d’inspirer leurs athlètes tout en ciblant les bons exercices afin d’individualiser et de potentialiser leur entrainement.
I – Analyse descriptive des mouvements olympiques
A – L’arraché
Le mouvement de l’arraché consiste à déplacer la barre du sol jusqu’au dessus de la tête, à bout de bras tendus, en un seul mouvement. Cet exercice demande le déplacement de la barre le plus rapide (+ de 2 m/s) sur la plus grande amplitude. Selon Arkadi Vorobiev (double champion Olympique en 1956 et 1960), la force intervient pour 55% dans son exécution, ce qui laisse une place prépondérante à la technique.
B – L’épaulé-jeté
C’est un mouvement en deux temps où, toujours selon Vorobiev, la force intervient pour 70%. La technique est moins mise en avant que sur un arraché et les charges utilisées lui sont en moyenne 20% supérieures chez un athlète équilibré (voir table de Baroga), ce qui induit un déplacement de la barre moins rapide (1er tirage 1,2 m/s et 2e tirage de 1,2 à 1,6 m/s).
L’épaulé consiste à déplacer la barre du sol jusqu’aux épaules en un seul mouvement, la barre reposant sur les clavicules, soutenue par les bras repliés.
Le jeté consiste à développer la barre au dessus de la tête à l’aide d’une impulsion des jambes (majoritaire) et des membres supérieurs (minoritaire) à partir de la position finale de l’épaulé.
C- Principes
Afin de minimiser les efforts lors du déplacement de la barre, il faut qu’à tout instant le centre de gravité de cette dernière (son centre) et celui du corps de l’haltérophile soient alignés. La distance entre la hauteur de départ (barre posée au sol) et la hauteur finale devra être la plus courte possible, de ce fait, la trajectoire devra être la plus rectiligne possible afin que le transfert énergétique soit efficace.
D – Les phases
- Position de départ :
– L’écartement des pieds est environ de la largeur du bassin
– Les pointes de pieds sont légèrement tournées vers l’extérieur (11h05)
– Les tibias sont au contact de la barre
– Le dos est « fixé » en isométrie. Il est plat, voire arqué au niveau des lombaires, l’idéal étant de respecter les courbures naturelles afin de protéger la colonne vertébrale et de pouvoir se servir de sa puissance comme d’un levier (importance des muscles stabilisateurs de la région lombaire)
– La tête est haute, le regard horizontal accrochant un point fixe aidant à l’équilibre général du corps
– Les omoplates sont serrées et la poitrine bombée afin de protéger le haut du dos et de ne pas subir le poids de la barre
– Les bras sont tendus et relâchés
– La prise de mains est : légèrement supérieure à la largeur des épaules pour l’épaulé, nettement supérieure à la largeur des épaules pour l’arraché (afin de diminuer la distance que la barre doit parcourir pour arriver au dessus de la tête). Les mains sont en pronation, pouces crochetés
– En théorie les épaules, genoux et pieds sont alignés. En pratique les épaules sont en avant de la barre
– Le poids du corps est sur l’avant du pied (les orteils doivent être contractés).
- Mise en action (1 tirage) :
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Les fesses et les épaules se lèvent en même temps jusqu’à ce que la barre soit au niveau des genoux grâce à une action de poussée des membres inférieurs, le dos reste fixé, les bras tendus, la barre frôle les tibias. Ceci permet d’obtenir la plus grande vitesse possible de la charge à l’extension complète du corps. Au cours de cette phase de tirage, les haltérophiles doivent développer une puissance très importante pour décoller la barre du sol et l’élever le plus haut possible.
- Passage des genoux :
Les membres inférieurs continuent à se déplier, les genoux viennent en retrait. Si la mise en action a bien été exécutée, le passage des genoux se fait automatiquement.
- Position fondamentale :
La barre est au dessus des rotules, le tronc se redresse, le bassin s’engage, les genoux se réengagent, l’athlète continue son extension. La barre glisse le long des cuisses, les bras sont toujours tendus et les pieds à plat.
- Extension finale (2 tirage) :
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Le tronc se redresse violemment, l’haltérophile est en position debout sur les pointes de pieds, bras tendus, épaules haussées. C’est ici que l’accélération est la plus importante.
- Tirage de bras et passage sous la barre :
A ce moment l’athlète effectue un saut et tire les coudes dans le plan du tronc (comme lors d’un tirage menton). La barre atteint alors sa hauteur maximale et doit être utilisée comme point d’appui pour descendre le corps le plus vite possible afin de la réceptionner :
– Au dessus de la tête, bras tendus, dos fixé, jambes fléchies pour l’arraché
– Sur les clavicules, bras repliés, dos fixé, jambes fléchies pour l’épaulé
- Redressement :
Après avoir stabilisé la barre, l’haltérophile se relève à l’aide d’une poussée des membres inférieurs.
E – Le jeté
- Position de départ :
La barre est en contact avec les clavicules et les deltoïdes antérieurs, les coudes sont relevés vers l’avant, le buste est vertical, le regard légèrement plus haut que l’horizontale.
- Impulsion :
Les jambes poussent rapidement après un léger contre mouvement (quart de flexion), montée sur pointes de pieds, épaules haussées. L’athlète effectue un saut, la barre quitte les épaules, les membres supérieurs bénéficient de cet élan pour rentrer en jeu (importance de la coordination).
- Réception :
Elle se fait pieds parallèles ou jambes fendues. Les bras doivent être tendus avant que les pieds ne touchent le sol. Le gainage est un élément important de sa réussite.
II – Analyse biomécanique des mouvements olympiques et comparaison avec les actions déterminantes en rugby
L’analyse descriptive précédente nous permet de déterminer les chaines musculaires mises en jeu dans les mouvements olympiques :
- Extenseurs de la cheville, du genou et de la hanche :
Aussi importants dans le placage, les différentes poussées, le lift, le saut, le sprint, les changements de direction et la lutte.
- Erecteurs du rachis :
Aussi importants dans le placage, la poussée, le sprint, le lift, le saut, le sprint et la lutte.
- Elévateurs de la ceinture scapulaire :
Aussi importants dans le placage, la poussée, le lift, le saut, le sprint et la lutte.
- Extenseurs des membres supérieurs :
Aussi importants dans le raffut, le lift et la lutte.
- Muscles centraux :
Ils interviennent dans tous les transferts de force et permettent aux joueurs d’encaisser les impacts.
III – Les qualités physiques développées par la discipline
De nombreuses études parallèles entre haltérophiles et pratiquants d’autres disciplines ont démontré la capacité des premiers à générer un niveau de force élevé dans un laps de temps très court. Voici quelques exemples trouvés dans la littérature :
- N. Décloître et R. Veillette ont comparé la puissance développée par un haltérophile lors d’un épaulé, à celle développée par un pratiquant de force athlétique lors d’un soulevé de terre, voici leurs conclusions :
Indicateurs
Powerlifter (Kenady)
Haltérophile (Pisarenko)
Poids corporel (kg)
140
120
Masse levée (kg)
405
265
Hauteur du levé (m)
0,4
0,9
Durée du levé (sec)
2.0
0.9
Puissance exprimée
793,8 watts
2596,8 watts
Doyle Kenady
- Ch. Miller (INSEP, 2003) a comparé la force maximale, la puissance et la vitesse d’un demi-squat chez un haltérophile, un rugbyman de première ligne (rugby à XV) et un sprinteur sur le système ergométrique Ariel CES 5000. L’haltérophile a développé un plus haut niveau de force maximale, de puissance force, de puissance maximale, de puissance vitesse et de vitesse que les deux autres athlètes.
La position adoptée à la réception de barre en flexion lors d’un arraché nous montre combien la souplesse et l’équilibre sont des facteurs majeurs de performance en haltérophilie. Les grandes amplitudes articulaires demandées au niveau des hanches, chevilles, poignets et de la scapulo-humérale contribuent à développer les qualités de souplesse. La capacité à contrôler la barre lors de la phase de redressement de l’arraché ou de la réception du jeté démontre des qualités certaines d’équilibre.
La pratique de l’haltérophilie développe donc la force, la puissance, la vitesse, la souplesse, la coordination, l’équilibre et demande une grande maitrise technique (ce qui implique une bonne capacité à travailler qualitativement).
Les chaines musculaires et les qualités physiques développées par la pratique de l’haltérophilie sont donc en étroite relation avec celles du rugby. Ceci nous permet de penser qu’une pratique complémentaire, aménagée et intégrée à la préparation physique, des mouvements olympiques pourraient s’avérer bénéfique dans le développement des qualités de puissance, d’explosivité et de souplesse des joueurs de rugby. Il faudra tout de même que le préparateur physique intègre des exercices spécifiques à l’activité rugby en complément de ces entrainements afin que les joueurs transfèrent ces gains sur le terrain.
Frédéric Marcérou – Team Physics
Fred Marcerou – Montpellier XIII
Licence STAPS mention Entrainement Sportif BPJEPS AGFF mention Force BEES 2e degré option Rugby à XIII
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